11 NOVEMBRE 2000

 

 

Comment a-t-on pu demander à des hommes de tels sacrifices ? Comment quelqu’un a-t-il osé se lever et dire : il faut y aller. Comment se fait-il que peu d’hommes, à part Jean Jaurès, n’aient su dire qu’il y avait d’autres solutions, d’autres  alternatives à la boucherie.

 

Sans doute, personne n’imaginait ce qui allait se passer et ils étaient bien orgueilleux les hommes de 14, si sûrs de leur victoire.

A quel point ont-ils eu tort, alors que pourtant, tous savaient les guerres et les souffrances, la précédente n’était pas si ancienne.

Ils étaient comme des enfants qui ne comprennent pas la mort, qui la voient comme dans un rêve, pour d’autres, des inconnus qui n’ont pas d’importance puisqu’on ne les connaît pas.

 

La gloire les attendait et il ne voyaient plus qu’elle. Les canotiers ont été échangés contre des coiffures plus viriles, des casquettes rouges si seyantes, mais si voyantes. Le pantalon bleu horizon de 14 était joli et peut être ont-ils vraiment compris lorsque le casque d’acier est venu remplacer le couvre-chef de toile.

Les vrais vêtements de guerre étaient le signal que ce ne serait pas drôle, et qu’il fallait se protéger pour ne pas mourir.

 

Quand ils ont creusé des tranchées, ils se sont mis a attendre. Savaient-ils seulement quoi ? Mais ils ont su qu’ils étaient là pour longtemps, que demain ne les verrait pas libres, que les jours passaient, que l’on s’observait, que l’on guettait le moment, mais le moment de quoi ?

Car la vie des soldats de la tranchée, c’était surtout cela : attendre.

 

Attendre souvent en espérant rien d’autre qu’il se passe quelque chose. Les petites corvées qui meublent le quotidien du soldat mais qui ne masquent pas la ligne de front. Attendre la soupe, espérer le courrier, un colis.

 

Puis attendre que le combat commence, attendre l’angoisse qui monte en guettant les signes de l’attaque prochaine. Les agents de liaison qui courent d’un bout à l’autre de la tranchée, rapportant des ordres, recherchant un officier, l’emmenant auprès d’un supérieur. Les cigarettes qu’on ne rechigne plus, l’alcool sans rationnement. Puis les cartouches qu’on distribue, les rumeurs car quelqu’un a dit qu’on allait y aller, que c’était pour demain matin.

Et enfin, les boites de pansement qui hurlent à l’oreille des hommes : « demain, peut être toi ».

 

Quelquefois, de rares fois, des permissions arrivent. A peine partis, l’attente recommence. Encore plus insidieuse. Il me reste 3 jours, 2 jours, 1 jour. J’y retourne demain.

 

L’action devient délivrance car rien n’est pire que de la craindre. Comme Gribouille se jette à l’eau, le soldat de 14 se jette dans la guerre pour sentir un peu moins qu’il y est.

 

Je me suis souvent demandé pourquoi ils étaient aussi dociles. Comment avaient-ils ce courage incroyable ? Quelle était la force qu’ils avaient en eux et qui les poussait au delà de la peur ?

 

Peut être était-ce seulement l’atroce délivrance de l’angoisse.

 

Retour